Honor parie sur les batteries silicium-carbon et nous tentons d’en percer les mystères
Le plus excitant dans un terminal comme le Magic V3 est aujourd’hui peut-être moins son côté pliant que sa source d’énergie. Comme de nombreux terminaux du genre, l’appareil renferme deux batteries. Mais pour se démarquer face à Samsung, Honor a joué la carte de la finesse. Une finesse record que les ingénieurs chinois ont pu atteindre en partie grâce à sa batterie. Ou plus précisément, grâce au type de batterie qu’il intègre : un modèle silicium-carbone.
Honor Magic V3
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Introduite par Honor en 2023, la batterie silicium-carbone (appellation simplifiée par les deux symboles chimiques Si-C,) commence à faire son chemin chez d’autres concurrents comme Oppo, Vivo, Huawei, etc. Et s’avère être au cœur de la stratégie de Honor en matière de gains de densité énergétique.
Dix fois la théorique capacité du graphite
Détaillons tout d’abord de quoi nous parlons. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la batterie Si-C repose sur la batterie lithium-ion (Li-Ion). Quelques équilibres chimiques mis à part, les deux sont similaires et partagent la même cathode faite de lithium. Ce qui change fondamentalement est son anode, qui troque le graphite (une forme de carbone) pour un matériau composite mélangeant silice et carbone.
Un changement qui a un très beau potentiel. “Du point de vue théorique, les batteries à anodes Si-C peuvent contenir 10 fois plus d’ions lithium par unité de poids que celles au graphite“, nous ont expliqué les équipes de Honor Chine avec lesquelles nous avons pu nous entretenir.
Ce qui ne veut pas dire que la batterie, qui est un élément complexe, va voir sa capacité augmenter d’autant. “Pour l’heure, nous avons pu améliorer la densité énergétique de +16,4 % sur notre Magic V3 par rapport au premier Magic V (qui utilisait une batterie Li-Ion classique à anode de graphite, ndr)”, nous a-t-on expliqué.
Un gain déjà conséquent, qui a permis à Honor d’intégrer une batterie certes plus fine que la compétition, tout en affichant une capacité supérieure – 5150 mAh contre 4400 mAh pour le Galaxy Z Fold de Samsung par exemple. “La batterie des terminaux pliants occupe 20 % du volume total, donc la batterie bien plus fine du Magic V3 nous a laissé plus de place pour les autres éléments“, ont continué les ingénieurs.
Du point de vue physicochimique, après les anodes en carbone désordonné affichant une capacité de 270 mAh par gramme, puis les anodes au graphite à 372 mAh/g, les nouvelles anodes Si-C repoussent cette limite à 470 mAh/g.
Alors pourquoi toute l’industrie ne bascule pas massivement vers cette technologie ? Simplement parce qu’il y a encore des limites à dépasser.
Une technologie pleine d’avenir… et de défis
La raison du travail des équipes de Honor dans le domaine des batteries Si-C est simple : “Nous avons réalisé que les solutions traditionnelles de batteries au graphite avaient atteint leur limite théorique en termes de capacité, rendant ainsi difficile toute amélioration supplémentaire des performances.“
D’un côté la finesse de gravure des puces, principal levier de réduction de la consommation énergétique, commence à ralentir. De l’autre, le développement des IA locales et la perpétuelle course à la puissance n’aident pas à réduire la consommation énergétique des systèmes mobiles.
La bascule ne peut cependant se faire du jour au lendemain, car l’anode Si-C, dont les limites théoriques sont si supérieures au graphite, présente quelques défis et limites. Le principal étant son expansion volumique lors des cycles de charge/décharge. Expansion qui peut entraîner sa fracture, ce qui fait que pour l’heure, la quantité de silicium doit être limitée.
Ensuite, sa durabilité à long terme n’est pas garantie, du fait de l’instabilité de l’interface électrolyte solide (IES ou SEI en anglais). Le fait que cette couche se brise et se reforme en permanence à cause de l’expansion réduit la durée de vie de la batterie. Ce à quoi s’ajoutent des défis de technologie, comme la conductivité (plus faible que le graphite) ou la durabilité réduite par rapport aux batteries li-ion classiques. Ainsi que des défis de production, notamment la sensibilité à l’humidité des électrodes qui implique d’importants investissements dans les lignes de production.
Mais les besoins énergétiques étant là, les industriels travaillent d’arrache-pied sur ces problèmes. Et Honor revendique être à la pointe dans ce domaine.
De la chimie, des composants et du logiciel
Honor ne produisant pas ses propres batteries, quel est son poids réel dans le développement et l’implémentation de la technologie ? “Nous codéveloppons les technologies de batteries avec nos partenaires. Ceux-ci se concentrent sur la r&d des matériaux, et nous nous focalisons sur son implémentation et sa durabilité dans les terminaux“, nous ont détaillé les équipes de Honor.
L’entreprise a d’ailleurs beaucoup investi dans le domaine : “La technologie Si-C fait l’objet d’investissements depuis une décennie. Honor a optimisé des éléments tels que l’électrode, les produits chimiques, le système de gestion de l’énergie, l’algorithme et le logiciel pour améliorer sa stabilité“, ont expliqué les équipes chinoises.
Du point de vue de la propriété intellectuelle des batteries codéveloppées, “bien que nous ayons participé au développement, la formule chimique (des batteries) ne nous appartient pas. Nous jouissons de l’utilisation exclusive pendant les six premiers mois, après quoi d’autres constructeurs peuvent en profiter“. Ce qui ne veut pas dire que tout le savoir-faire de Honor parte à la concurrence par le simple achat des mêmes batteries.
Connaissant parfaitement la structure et la chimie de la batterie et de ses éléments, les équipes sont à même de l’intégrer au mieux. Pour ce faire, l’entreprise utilise son processeur maison appelé E1, pour réaliser le pilotage énergétique. Mais a aussi développé un système de refroidissement adéquat (chambre à vapeur) et sélectionné les bons composants (puces de protection de la batterie, capteurs thermiques, etc.) pour s’assurer de la bonne santé de la batterie.
À cela s’ajoute aussi une partie logicielle, de plus en plus importante en matière de gestion de l’énergie. “Sur le plan logiciel […] l’IA de Honor surveille et protège avec précision […] la température de la batterie et du smartphone. Nous développons notre propre système de gestion de l’énergie et nos propres algorithmes donc nous avons beaucoup de brevets dans ce domaine“, se sont félicitées les équipes.
Des équipes qui se sont avérées bien plus taciturnes et rétives à l’échange que ce à quoi nous avons l’habitude.
Un mur de réponses très vagues
Si vous avez désormais une petite idée de l’intérêt de cette nouvelle technologie de batterie, vous avez forcément dans votre besace une quantité de questions légitimes. Quelle est la durabilité à long terme de ces batteries ? Combien de cycles de charges ? Est-ce qu’elles sont recyclables et, si oui, le procédé est-il maîtrisé ? Et quel est le vrai potentiel maximal de la technologie ? Où en sera-t-elle dans cinq ans ?
Ces questions, nous les avons posées à Honor.
Et c’est un doux euphémisme que de dire que les réponses ont été évasives : les cadres chinois ont botté en touche pour la majeure partie d’entre elles, en créant des kamoulox marketings parfaits, jugez plutôt.
À la question “Avez-vous des informations précises sur le recyclage des batteries et la possibilité de remplacer les batteries dans les terminaux ?“, la réponse que nous avons reçue a posteriori de l’interview en visio fut parfaitement vide : “Les batteries Silicium-Carbone en sont encore aux premiers stades de développement. Honor et ses partenaires travaillent continuellement sur le recyclage des batteries et la protection de l’environnement, investissant dans les technologies du futur.” D’une part, ce n’est pas rassurant. D’autre part, ça ne paraît pas trop légal – une technologie de batterie sans filière de recyclage ? Finalement, c’est sans substance. Et ce n’est pas le fait unique de Honor : c’est une tendance.
La Chine ferme le robinet aux informations
Ces réponses ainsi que le dispositif de l’interview – pas de nom chinois réel de l’interlocuteur, pas de photo officielle, des réponses très vagues lors de l’interview, etc. – illustrent cependant très bien un changement majeur de paradigme : toutes les entreprises chinoises de la tech commencent à fermer le robinet aux ingénieurs. Bien plus ouverts que leurs confrères coréens ou japonais, les ingénieurs chinois ont été ces dernières années les plus directs et ceux qui apportaient le plus d’éclairages technologiques aux journalistes.
Mais les temps changent, les enjeux sont de plus en plus importants. Notamment ici dans le domaine des batteries, un domaine largement dominé par la Chine et qui devient ultra crucial avec les stratégies de décarbonation des industries. En clair : la fête du partage d’informations est finie et les ingénieurs chinois risquent de devenir aussi taiseux que les autres. Dommage pour le partage des technologies et de la science.