
High NA et 14A : les armes d’Intel pour redevenir roi de la gravure
Intel l’a affirmé lors de sa conférence Intel Foundry Direct Connect : il revient dans la course à la miniaturisation et son mode de gravure Intel 18A est prêt et a le soutien de l’industrie. Si ce procédé est le premier qui devrait remettre Intel dans la course à la compétitivité, juste derrière ce procédé, arrive Intel 14A. Un procédé clé pour Intel : c’est lui qui pourrait lui redonner la couronne de champion de la finesse de gravure, ravie par TSMC à la fin des années 2010. Point de magie derrière cela, mais beaucoup de travail, et des outils de pointe.
Comme la vraie guerre, la course à la miniaturisation des composants électroniques est aussi une affaire de machines. En lieu et place d’avions ou de missiles, dans la production des puces, les armes les plus emblématiques sont des scanners (ou steppers) capables à chaque génération de graver toujours plus fin, toujours plus vite.
Lib-pu Tan, tout nouveau PDG d’Intel lors de l’événément Intel Foundry Direct Connect (avril 2025). © Adrian Branco pour Les Numériques
Dans la bataille des machines, il ne reste plus que trois acteurs suffisamment gros pour s’offrir et opérer ces bijoux hors de prix : les Asiatiques que sont TSMC (Taïwan) et Samsung (Coréen) et l’américain Intel. Et c’est ce dernier, pourtant en difficulté dans le design comme la production de puces, qui a entamé le travail le premier. Car si TSMC et Samsung avaient l’avantage ces dernières années en matière de finesse des circuits, Intel estime pouvoir le reprendre, et rapidement.
Le Twinscan EXE:5000 reçu en 2024 est devenu pleinement opérationnel en février 2025 dernier. © Intel
Ce grâce à une arme fatale : le Twinscan EXE:5000 d’ASML, le premier stepper EUV de la génération High NA. Par rapport aux machines EUV classiques déjà en service, ce scanner (ou steppers) profite d’une meilleure résolution d’image et d’une plus grande rapidité d’opération. Son nouveau module intègre une optique anamorphique qui permet d’exposer le wafer de manière plus uniforme, réduisant ainsi le nombre de passages dans la machine.
De plus, les wafers sont manipulés dans la machine à toute vitesse : alors que les précédents scanners appliquaient des accélérations de 8G, le nouveau EXE:5000 pousse jusqu’à des accélérations de 32G. Selon les calculs d’ASML, cela revient à être dans une voiture qui passe de 0 à 100 km/h en… 0,09s. De quoi traiter pas moins de 220 wafers par seconde. Une donnée d’importance pour rentabiliser la précieuse machine.
Une énorme machine qui taquine l’infiniment petit
Twiscan EXE:5000 d’ASML requiert plus de quarante conteneurs de transport ! © Intel
Pesant 150 tonnes une fois assemblée, cette machine conçue au Pays-Bas par ASML se transporte dans 43 containers. Lesquels nécessitent plus de vingt camions pour l’acheminement final dans l’usine test d’Intel dans l’Oregon (USA). Et pas question d’intégrer l’engin n’importe où : l’appareil est tellement gros, dense et sensible que les usines doivent être spécialement adaptées.
Et le prix me direz-vous ? A plus de 350 millions d’euros l’unité, c’est l’outil le plus cher d’une usine de semi-conducteurs. Plus cher que bien des sites industriels entiers !
Chaque élément du scanner d’ASML est un bijou de technologie. © Intel
Un joyau que le géant Intel se félicite d’être le premier à avoir non seulement reçu la machine au sein de ses usines d’Oregon, mais en plus à l’avoir assemblée sur place, au lieu d’attendre un préassemblage et un test aux Pays-Bas comme cela est généralement coutume.
Depuis cette livraison début 2024, Intel a fait rebelote et a mis en service une seconde machine en ce début 2025 et a déjà bien entamé les essais de production de son futur node Intel 14A. Prenant ainsi de l’avance.
Intel et ASML main dans la main
“La performance pour nous est non seulement d’avoir à notre disposition la première machine High NA, mais d’avoir pu l’assembler avec notre partenaire ASML directement au sein de notre site de l’Oregon“, se félicite Mark Phillips, directeur de la photolithographie d’Intel et vétéran de l’industrie avec plus de 30 ans passée dans les usines du géant des semi-conducteurs. Si Intel a permis à la presse d’écouter sa parole, rare, c’est que le moment est doublement important.
Pour l’industrie d’abord, parce que même les machines EUV actuelles montrent leurs limites en termes de miniaturisation et de réduction des coûts. Cette nouvelle génération en gestation dite High NA, avec son miroir géant et sa source d’énergie encore plus puissante, devrait rendre possible la continuité technologique (et économique !) des progrès des puces pour les années à venir.
Mark Phillips, Intel Fellow, directeur des solutions et du matériel de lithographie chez Intel. © Intel
Il est aussi important pour Intel de reprendre la tête de la course d’un point de vue technique que de le faire savoir. Après trois décennies de domination sur la réduction de la taille des circuits, l’américain s’est fait doubler par le Taïwanais TSMC et le coréen Samsung, qui se sont engagés la tête la première sur les premières générations de machines EUV.
C’est l’ex-PDG d’Intel, Pat Gelsinger, brutalement débarqué en décembre 2024 dernier, qui a relancé la machine industrielle. Ancien de la maison, puisqu’il a conçu des processeurs dans les années 80, c’est lui qui a entamé le virage stratégique le PDG actuel, Lip-bu Tan, semble poursuivre. Avec en tête deux tâches : se remettre à concevoir des puces désirables d’un côté. Et de l’autre côté, transformer ses usines privées en une vraie alternative au champion taïwanais TSMC.
La photolithographie EUV High NA, qu’est-ce que c’est ?
Avant de vous parler plus avant de comment Intel a placé ses espoirs dans cette machine il y a dix ans – et a laisser passer le train de la précédente génération, ce qui a profité au taïwanais TSMC – il faut rappeler ici de quoi l’on parle.
Tous nos composants électroniques, qu’ils soient processeurs ou puces mémoires, sont produits par le biais d’une technique qui s’appelle photolithographie. Ce mot-valise réunit plusieurs racines grecques : photos (φωτoς), la lumière, lithos (λίθος) la pierre et graphein (γραφειν), qui écrit. Littéralement écrire avec de la lumière sur de la pierre. La pierre étant ici une galette de silicium appelée communément wafer.
Dans les faits, on conçoit des plans des circuits que l’on écrit sur des genres de pochoirs de verre (les masques). Puis, au gré des expositions à la lumière – des lasers haute énergie – et des bains chimiques, la machine va petit à petit dessiner et constituer les circuits électroniques des puces sur le wafer. Qui sera découpé en processeurs (ou en morceaux de puces, qui seront assemblées plus tard).
Le nerf de la guerre de la course à la puissance électronique, dans laquelle la civilisation humaine s’est engagée, est d’ajouter toujours plus de transistors. Et ce, sur des surfaces toujours plus petites. Pour ce faire, il a fallu changer la longueur d’onde de la source lumineuse de 193 nm (ultraviolets profonds, DUV) à 13,5 nm (ultraviolets extrêmes, EUV) avec les premières machines EUV.
Cette révolution – car cela en fut bien une – a eu lieu à partir de la finesse de gravure TSMC N7 (appelée aussi 7 nm). Les deux évolutions de machines EUV d’ASML ont permis d’aller jusqu’au 3 nm actuel, finesse de gravure inaugurée par les puces des iPhone 15 Pro lancés en 2023.
La nouvelle génération de machines EUV dites High NA pour “grande ouverture numérique” qui est arrivée chez Intel est là pour repousser encore plus loin la miniaturisation. Et elle est, à plus d’un titre, et encore plus que par le passé, hors norme. De la taille de plusieurs containers, un scanner ASML High-NA est un titan de 350 millions d’euros pièce (spoiler : il en fait plusieurs dans une usine !).
Une technologie en longue gestation
“La première fois que j’ai entendu parler de la gravure EUV c’était lors d’un atelier organisé par le Darpa au début des années 90 quand j’étais encore étudiant à l’université de technologie de Californie (Caltech, ndr)”, se remémore Mark Phillips lors d’une interview à la presse. Alors qu’il travaille pour le géant des puces depuis trente ans, le directeur de la photolithographie d’Intel précise “qu’entre le moment où la gravure EUV a été envisagée et sa mise en place, pas moins de 26 ans se sont écoulés!”.
Il faut dire qu’après des décennies d’utilisation de longueurs d’onde de lumière de 248 nm puis 193 nm, le passage au rayon ultraviolet extrême de seulement 13,5 nm de large fut loin d’être une sinécure. “Quand on se tourne vers le passé, la réduction de la taille des circuits venait du simple fait de l’arrivée d’une machine plus performante. On ne se rendait pas compte que nous étions en vacances à l’époque ! Mais ça s’est vraiment arrêté quand les machines EUV tant promises ont pris du retard“, explique ce cador de la gravure des circuits.
L’erreur historique des fabs d’Intel
Si ce wafer de test gravé en Intel 14A est une réussite, il arrive bien plus tard qu’Intel ne l’avait espéré. © Adrian Branco pour Les Numériques
Alors qu’Intel travaille depuis le début sur l’EUV, le géant a été le dernier à la mettre en place. Car l’américain attendait que l’écosystème EUV soit complet à cause de ses besoins : produire de grosses puces pour les PC.
A contrario, Samsung et TSMC produisant de plus petites puces pour les mobiles, ils n’avaient pas autant besoin qu’Intel des systèmes de protection des masques – ces plans qui permettent de graver les puces. Si les détails sont chiches (secrets industriels obligent) TSMC comme Samsung ont trouvé des parades aux dépôts de particules sur les masques – qui nuisent à la qualité et font s’effondrer les rendements – avant que les films de protection (pellicles dans le jargon) adaptés aux grands masques EUV ne soient disponibles.
Produisant comparativement de très grosses puces et en moindre volume, Intel avait moins de marge de manœuvre et a encore été obligé d’attendre, en faisant appel à multiples expositions (on parle de multipatterning) avec ses machines DUV. Laissant les deux autres acteurs prendre la tête de la miniaturisation et acquérir dans la foulée de précieuses compétences.
Mais l’arrivée de la génération de machines EUV High NA, serait, selon le discours officiel d’Intel, le moment où le géant américain va reprendre sa couronne de boss. Une promesse qu’Intel explique par une planification très en amont.
Un retard sauvé par des années ans de planification ?
Avant d’affirmer que le node Intel 18A est bien au niveau ou de professer que l’Intel 14A sera LE node qui va redonner l’avantage à Intel, il faut raison garder : attendons de voir les performances des premières puces. Mais si le succès est au rendez-vous, il faudra le mettre au crédit de plus d’une décennie de planification.
Une planification non seulement de technologie, mais de prix. “Cela fait plus d’une décennie que nous travaillons avec ASML. Et dès le début de nos discussions (avec ASML, ndr), il était clair que cet outil devait être viable commercialement“, assure Mark Philips.
Qui ajoute : “Nous planifions l’introduction des machines High NA depuis dix ans. Nous avions cette vision tellement en amont, que toutes nos fabs qui ont des machines EUV classiques ont été conçues pour avoir une hauteur suffisante pour accueillir les machines de la génération d’après. Nous sommes donc dans une position où cela a du sens pour nous (de passer à cette étape, ndr)”, a expliqué l’ingénieur.
Intel 14A, l’ambition du leadership retrouvé
Lors de sa conférence Intel Foundry Direct Connect, les différents cadres d’Intel et les membres de l’industrie (Candence, Synopsys, etc.) ont tous loué le node Intel 18A. Qui sera le premier d’Intel à intégrer les technologies PowerVIA (alimentation par l’arrière) et RibbonFET (les transistors dits GAAFET). Ce node semble être celui qui commence à être compétitif avec le futur node TSMC N2.
Pourtant, le point de bascule semble être le node d’après : Intel 14A. S’appuyant sur les technologies déjà industrialisées par 18A (PowerVIA et RibbonFET), Intel 14A sera le premier node d’Intel à profiter de la gravure EUV High-NA. Une gravure qui non seulement va permettre d’affiner encore plus la taille des circuits, mais aussi (espère Intel) réduire les coûts de production.
Si les plans d’Intel se concrétisent, sa division fonderie passerait du rang de division malade de l’entreprise à celle de championne capable de bousculer la mainmise de TSMC sur la fabrication de pointe. Un domaine où le Taïwanais se taille la part du lion, avec plus de 95% de parts de marché sur les nodes de 5nm et moins.
Intel va-t-il réussir à passer d’une société verticale à un mélange de pourvoyeur de produits d’un côté, et d’usine à la demande pour les autres ? Peut-être bien. L’exemple de Sony et sa division composants (Sony Semiconductor Solutions) dans le domaine des capteurs est un bel exemple de réussite de cet équilibre.
Pat Gelsinger, précédent PDG d’Intel, à l’origine de la relance du leadership d’Intel en matière de finesse de gravure. © Adrian Branco pour Les Numériques
Il faudra non seulement attendre les premières puces d’Intel 18A et 14A pour juger, mais aussi la riposte de TSMC voire l’émergence potentielle du japonais Rapidus pour estimer si Intel va s’en sortir. Mais si le géant historique y arrive, il pourra remercier le passage de son ancien PDG Pat Gelsinger. Ainsi que ses vétérans comme Mark Phillips.
Qui planifient ce (potentiel) succès depuis plus d’une décennie.
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