Loewe : « Nous ne fabriquons pas des téléviseurs, sinon, nous disparaîtrions demain », visite de l’usine de TV du minuscule géant allemand

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Niché au milieu d’une vallée paisible, bordée de la forêt franconienne, et au pied d’une forteresse millénaire, Kronach a le charme discret de ces villes allemandes qui ont échappé aux destructions de la dernière guerre. C’est là que Loewe, fondée en 1923, s’est installée après la guerre justement, pour échapper à l’Armée rouge qui avançait vers Berlin et pour être tout près de ces forêts gigantesques, dont le bois était alors essentiel à la fabrication des postes de radio que la jeune société produisait.

Kronach Loewe Citadelle

La ville médiévale de Kronach vue depuis la citadelle

© Pierre Fontaine / Les Numériques

Kronach, le berceau d’une montée en puissance, et…

Puis vinrent les premiers téléviseurs, et d’emblée une vision particulière du design, une approche qui fait sortir Loewe du lot. Avec la montée en puissance de la télévision, Loewe prend alors son envol, emploie jusqu’à 6 000 personnes dans cette petite ville. La marque s’installe durablement dans les années 70, innove, passe le cap des écrans plats avec brio deux décennies plus tard, et toujours cette quête de l’innovation et du design, même si un changement tellurique se prépare : le glissement technologique et industriel vers l’Asie. La fin des années 2010 est terrible, Loewe est mis en liquidation judiciaire, le gigantesque terrain (environ 150 000 m2), occupé par les bâtiments de la société, a été racheté par la municipalité. C’est la fin.

Le témoin d’un renouveau

Jusqu’à ce qu’arrive Aslan Khabliev, investisseur, qui possède déjà les marques Blaupunkt et Sharp, pour l’Europe. Fin 2019, le rachat est validé. L’activité reprend alors doucement, avec le besoin de remettre en place des lignes de production, de retrouver les machines nécessaires, de moderniser les outils, de renouer des partenariats. Une renaissance compliquée par le contexte, nous sommes alors en pleine crise du Covid.
La nouvelle direction rachète la moitié du terrain, immanquable depuis les remparts de la forteresse qui surplombe la vallée. Le nouvel actionnaire a également l’intelligence de faire appel aux employés historiques, à certains d’entre eux, tout au moins, puisque l’entreprise n’embauche désormais plus que 150 personnes sur le site, et 200 en comptant les autres structures. Le nouveau Loewe fait également appel aux composants produits par Motherson, une structure toujours présente sur le site, ancienne propriété du groupe, désormais indépendante. Le cœur économique de la ville est toujours là, repart.

Loewe

Alexander Paul, responsable produit pour Loewe.

© Pierre Fontaine / Les Numériques

C’est donc ce site, partagé avec une école et d’autres entreprises que nous avons visité, et, plus particulièrement, logée dans un hangar très banal en apparence, la chaîne de production finalisée l’an dernier, celle où sont assemblés les téléviseurs OLED de Loewe : inspire, stellar, Bilt ou We.See, la « marque sœur de Loewe », nous explique Alexander Paul, responsable produit pour la société, ancien de Grundig, de LG et… de Loewe.

Kronach Loewe Usine

L’entrée de l’usine de Loewe à Kronach, en Bavière.

© Pierre Fontaine / Les Numériques

Une chaîne de production artisanale

On entre dans la salle d’assemblage directement depuis l’extérieur. « Nous ne tournons que sur un shift par jour », nous explique Horst Heuschmann, responsable de l’usine de Kronach, en nous guidant au milieu d’allées et contre-allées qui séparent les différentes parties de la chaîne de production. Il a fait toute sa carrière chez Loewe et organise maintenant la fabrication de ses produits phares. Le site tourne environ 200 jours par an, et produit à la demande pour éviter la gestion de trop gros stocks.
S’il est évident que les salariés présents sur la chaîne ne chôment pas, on est assez loin des rythmes soutenus qu’on peut observer en visitant une chaîne de production en Chine dans des usines comme celles de Hisense, un des partenaires de Loewe. La raison est simple, les volumes de téléviseurs écoulés n’ont rien à voir.
Chaque jour se sont au maximum entre 140 et 160 unités OLED qui sont produites, assemblées essentiellement à la main. Horst Heuschmann nous précise que pour produire un téléviseur OLED il faut entre 40 et 50 minutes, avec une période incompressible de 20 à 30 minutes pendant laquelle le téléviseur est testé automatiquement, contre le burn-in, entre autres.

Loewe Kronach usine

Un téléviseur Loewe sur sa chaîne d’assemblage.

© Pierre Fontaine / Les Numériques

De fait, Loewe a une approche presque artisanale de la fabrication du téléviseur, qui implique beaucoup d’intervention humaine et relativement peu d’automatisation. Une fabrication à façon qui offre aussi la possibilité de personnaliser les téléviseurs, avec des finitions béton ou tissu qui font sortir le design Loewe du lot.
La chaîne de production prend donc place dans un hangar anonyme, où de la musique est diffusée en fond, tandis que les ouvriers de Loewe travaillent en silence, posément, souriants et aimables quand on s’approche, en évitant de les déranger.

Face à la guerre de la production de masse qu’il ne peut remporter, l’acteur allemand a décidé de se positionner sur le haut de gamme, de personnaliser les produits qu’il met sur le marché et de les suivre au long cours, pour assurer une durabilité exceptionnelle. « Nous avons longtemps eu beaucoup de place, et un service après-vente qui stocke des pièces détachées depuis toujours. Ce qui nous permet de réparer de très vieux modèles, même des téléviseurs cathodiques », s’amuse ainsi Alexander Paul.

40 minutes pour un téléviseur

Quoi qu’il en soit, cette chaîne de production a été mise en place l’année dernière car Loewe a « commencé à assembler ses écrans » elle-même, explique Horst Heuschmann. Avant, la société recevait les dalles OLED toute prêtes de LG. Désormais, les éléments sont assemblés séparément. Tout commence avec le dos de l’appareil, une plaque d’aluminium usinée sur laquelle sont placés les écrous dans lesquels viendront se fixer les différents éléments, de la carte du contrôleur de la dalle au reste de l’électronique (carte mère, son disque dur, etc.), en passant par les fixations des pieds.

Loewe Kronach usine

Le robot utilise un vérin très précis pour enfoncer les écrous qui permettront la fixation des composants sur le fond du téléviseur.

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Travail minutieux, les écrous sont placés à la main, pour l’instant, mais une machine devrait le faire à terme. Puis un robot les enfonce en position avec précision, pour être sûr qu’ils soient « bien placés et ne risquent pas d’endommager la dalle OLED », explique Horst Heuschmann.

Loewe Kronach usine

Le plasma sert à nettoyer le cadre en aluminium. Il reste ensuite quelques minutes à l’équipe pour positionner précisément la dalle OLED et la coller définitivement au dos de l’appareil.

© Pierre Fontaine / Les Numériques

Après l’application manuelle de bandes adhésives puissantes, un petit canon à plasma nettoie le pourtour du cadre en aluminium pour assurer une adhésion optimale lors de l’application de l’écran. La dalle OLED et sa couverture en verre sont déposées avec précaution par deux ouvriers à l’aide d’un système de ventouse. Cette tâche doit être réalisée avec grande attention, car une fois collée, il sera impossible de détacher la dalle sans l’endommager. Le contrôleur de la dalle est alors positionné, puis les caches en textile qui entourent « l’œil » de Loewe en façade. C’est alors l’heure d’une première série de vérifications, réalisées grâce au mode d’auto-test de la carte T-Con. Cela permet de s’assurer que la dalle ne souffre pas de défauts majeurs et est capable d’afficher les couleurs primaires sans pixel mort.

Loewe Kronach usine

Le téléviseur est loin d’être terminée et n’a pas encore toute son électronique, mais le T-Con permet déjà de tester la dalle une première fois.

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L’écran est ensuite déplacé sur une autre partie de la chaîne de production, où va être monté le reste de l’électronique. Une fois les composants fixés, le téléviseur est placé à la verticale, sur son pied. Il sera alors prêt à franchir différentes stations de tests. En cas de souci, l’écran est aiguillé vers une station où sera corrigé le problème éventuel. Le téléviseur retournera ensuite dans le flux de production.

Kronach Loewe Usine

La dernière ligne droite. Les dalles des téléviseurs sont testées une dernier fois. Le disque dur formaté et l’ensemble vérifié avant l’emballage.

© Pierre Fontaine / Les Numériques

La plate-forme sur laquelle il est fixé empruntera alors un ascenseur, qu’on ne nous a pas autorisé à photographier, comme bon nombre de détails de cette chaîne de production, tant il est vrai que l’organisation de la fabrication d’un produit est toujours un point stratégique. L’appareil disparaît dans un faux plafond où seront réalisés automatiquement tous les tests et mesures et de calibration de la dalle. Une fois redescendue par un autre ascenseur situé au bout de la dernière partie de la ligne de production, la balance des blancs est effectuée, le disque dur formaté et l’OS installé, le fonctionnement des modules Bluetooth et Wi-Fi est vérifié. Puis le téléviseur passe dans une cabine insonorisée où sont réalisés des tests audio par un humain. Après cette dernière série de vérifications, le téléviseur quitte le mode usine pour basculer en mode livraison, celui que vous verrez à l’allumage.
Commence alors la dernière ligne droite, celle qui mène à l’emballage dans un revêtement de transport, celui que vous déchirerez certainement. La mise en carton s’effectue grâce à un outil pneumatique qui permet à un employé de porter seul et facilement le téléviseur. Le manutentionnaire s’assure alors de glisser la bonne documentation dans le coffret de bienvenue, ainsi que la télécommande et les autres éléments livrés avec le téléviseur.
Le carton est ensuite paré des étiquettes de consommation énergétique, fermé et envoyé dans un hangar attenant, prêt à être expédié.

Kronach Loewe Usine

Une fois placé dans son carton, l’emballage est fermé automatiquement et envoyé dans un hangar de stockage.

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Un petit coin aménagé pour un géant

Voilà donc pour la chaîne de production d’un téléviseur OLED Loewe. Toutefois, dans un coin dégagé de ce vaste atelier immaculé, mais loin d’être une salle blanche, un portique vient d’être construit. Il est de ceux utilisés pour déplacer des éléments encombrants ou lourds et comporte des palans et un système de manutention à ventouse qui peut porter jusqu’à 65 kg. « Il servira à la fabrication des téléviseurs de 97 pouces », explique Horst Heuschmann, ravi qu’un nouveau modèle, encore secret lors de notre visite, rejoigne la famille Loewe.
Pas sûr toutefois que ce nouveau produit fasse exploser les chiffres de l’usine de Kronach. Lors de notre visite, à un peu plus d’un mois de la mise sur le marché du monstre vendu presque 30 000 euros, les éléments propres à la fabrication de ce téléviseur très grand format n’étaient pas encore installés. Toutefois, quand il sera nécessaire, le portique sera là et permettra aux salariés qui assembleront les stellar 97 de les manipuler facilement sans risquer de se blesser. Une fois encore, Loewe ne nous a pas laissé publier de photos de cette installation.

Le made in Germany et ses limites

C’est ce hangar de quelques centaines de mètres carrés qui est placé au cœur de la stratégie technologique et commerciale de Loewe. C’est lui qui permet à la société centenaire de revendiquer des téléviseurs « conçus et assemblés en Allemagne » – même si ces TV LCD sont fabriqués à Velenje, en Slovénie, dans une usine propriété de Hisense.
Un argument qui peut peser lourd alors que la nécessité de fabriquer plus localement et de soutenir l’économie et l’industrie européennes prend de l’ampleur. Mais au-delà de ce message commercial, cette fabrication à échelle artisanale permet aussi à Loewe de personnaliser les dalles et composants afin de se distinguer de la concurrence.
« Si nous fabriquions des téléviseurs, nous disparaîtrions demain. Heureusement, nous fabriquons des systèmes », résume, avec un sens de la formule éprouvé, Alexander Paul, alors qu’il nous fait visiter un mini musée des produits de Loewe.
Car, grâce à leur design, leur durabilité, leur rétrocompatibilité, leur intégration dans un écosystème de produits audio en constant développement, les téléviseurs de Loewe sont bien plus que de simples appareils. Ils continuent de porter la flamme d’une grande marque européenne, qui se reconstruit et innove, à son échelle.

Thomas Putz Loewe

Thomas Putz, CTO de Loewe dans le showroom de la marche à proximité de l’usine qui produit les téléviseurs OLED de la marque.

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L’art et la manière d’être un petit géant

Ainsi, parmi les 150 personnes sur le site de Kronach, se trouve une équipe de R&D enthousiaste, menée par Thomas Putz, le directeur technologique de la société, stakhanoviste effréné, enthousiaste inarrêtable. Il est incollable sur tous les produits développés par Loewe, même sa toute nouvelle machine à café, pour laquelle il éprouve la fierté de celui qui a dû tout apprendre pour finalement s’imposer.
Quoi qu’il en soit, cette équipe de R&D, guidée par une passion touche-à-tout autant que par une stratégie de marque – elle a travaillé pendant un moment sur une trottinette électrique très premium – se penche aussi bien sur les choix des bons éléments matériels que sur le développement ou la personnalisation des logiciels qui animent ses produits.

Loewe Kronach usine

Très rapidement, les radios puis téléviseurs Loewe sont devenus des objets design, comme cette radio de la fin des années 40.

© Pierre Fontaine / Les Numériques

Depuis que les téléviseurs sont devenus « intelligents », ou tout au moins connectés, les acteurs du marché ont développé des systèmes d’exploitation et des interfaces dédiés, avec plus ou moins de bonheur. Suivant le chemin tracé par les smartphones, ils ont ajouté des applications, puis des magasins applicatifs à leurs systèmes.
Dans un marché dominé par Google et quelques autres alternatives, Loewe a fait le choix d’une association technologique, avec Hisense, en l’occurrence. Les téléviseurs de la marque allemande tournent sous Loewe OS (ou Tizen OS selon les modèles), qui est une version modifiée de Vidaa, l’OS du géant chinois. Une surcouche graphique permet de créer une expérience différente, adaptée à la proposition premium qu’entend offrir le groupe centenaire. Mais, au-delà de l’accès à un environnement, c’est aussi un moyen d’accéder aux applications dont un téléviseur moderne ne peut pas se passer : Netflix, Prime Video, Disney+, YouTube, etc. Car, bien souvent, ces géants des contenus ont des pratiques commerciales dures et refusent d’accorder des licences à des acteurs dont les ventes ne franchissent pas un certain plancher. Difficile d’avoir Netflix dans son téléviseur quand on écoule moins d’un million d’unités à l’année par exemple. Par le passé, au pire moment de son histoire, Loewe a même dû pousser des mises à jour vers ses téléviseurs qui désactivaient certains services de SVoD… Avant de devoir affronter le mécontentement légitime de ses clients.

Loewe Kronach

© Pierre Fontaine / Les Numériques

Dès lors, on prend la mesure de l’effort fourni par Loewe pour continuer à exister. Un effort qui semble également porté par son propriétaire et CEO, Aslan Khabliev, très présent et très impliqué.
A en croire ses équipes, c’est grâce à lui que l’accord d’approvisionnement pour les dalles LG a été bouclé si rapidement et en direct, c’est grâce à lui aussi que le partenariat avec Hisense s’est monté… Et c’est encore grâce à lui qu’un certain Kilian Mbappé est devenu ambassadeur (puis actionnaire) de Loewe…

A plus de cent ans, Loewe est plus qu’une société allemande emblématique, c’est un phœnix qui n’en finit pas de renaître de ses cendres et qui veut flamboyer à nouveau… C’est aussi le symbole industriel d’une Europe désindustrialisée, tributaire de technologies, dont le développement et la fabrication échappent au Vieux continent, et d’acteurs désormais trop grands pour être des concurrents. D’anciens ennemis devenus les maîtres du marché, mais qui sont assez intelligents pour aussi être des partenaires. Loewe, centenaire et nouveau-né, marche résolument sur le fil, en équilibre, vivant, fragile et fort à la fois.

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